L’élevage recule, le secteur patine
Avec une nouvelle baisse de production d’aliments pour animaux attendue autour de 0,7 % après une année 2022 à -6,4 %, la situation de la nutrition animale française reflète la déprise de l’élevage. La lutte contre la décapitalisation des cheptels est entrée dans le débat public. Le rapport de la Cour des comptes, qui préconise une réduction importante du cheptel, a fait bondir toutes les filières, alors que la désaffection du métier d’éleveur engendre toujours plus d’importations.
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L’autonomie alimentaire est fragile dans le domaine des produits animaux. D’exportatrice nette, la France affiche désormais ses déséquilibres, non seulement en volailles et en viande bovine, mais aussi pour la première fois en porc et en lait.
Dans ce contexte complexe, l’industrie de la nutrition animale française devrait finir 2023 aux environs de 19 Mt, peut-être même un peu en dessous, après une année 2022 catastrophique bouclée à 19,24 Mt : la tendance était en effet encore à -0,7 % fin août après les -6,4 % de 2022. Le rêve de repasser au-dessus des 20 Mt s’estompe encore un peu plus. L’Hexagone conservera toutefois sa troisième position européenne derrière l’Espagne (25,8 Mt) et l’Allemagne (21,9 Mt), car le quatrième pays producteur, l’Italie, se place autour de 14,5 Mt/an.
Toujours en tête des productions nationales avec 40 % des tonnages, la volaille reprend un peu de volumes avec 8 Mt espérés en 2023 contre les 7,6 Mt de 2022. Mais elle ne va pas remonter tout de suite au niveau de 2020 et 2021 (8,6 Mt). Dans ce secteur, la tendance est aussi clairement à la concentration des productions. Poulet de chair et pondeuse courent en tête, la dinde continuant son repli et le canard parvenant à peine à repasser au-dessus de ses volumes de 2022, eux-mêmes en chute libre sur les années précédentes.
La reprise des aliments pour volailles après l’épisode violent d’influenza aviaire de l’hiver 2021-2022 ne compensera en tout cas pas la chute continue des aliments pour porcs. Ce segment s’inscrit encore à -6,3 % sur 12 mois glissants (septembre 2022-août 2023) avec un recul encore plus marqué en porcelets (-7,2 %). Quant aux aliments pour ruminants, ils pourraient reprendre 1 % en tonnage pour rester aux environs de 6 Mt.
La rentabilité dévisse
L’augmentation du chiffre d’affaires des entreprises de nutrition animale, qui enfle sous l’effet des prix des matières premières et qui devrait donc être limité au seul exercice 2022, ne se reflète pas dans leurs résultats. Selon l’observatoire des études économiques du Crédit Agricole pour 2022, elles ont clairement subi l’an dernier un reflux de leur rentabilité économique, conjuguant baisse des fabrications et difficultés à répercuter intégralement l’inflation des matières premières et des charges externes. « Alors que les firmes services conservent une solide situation financière, les fabricants d’aliments composés voient leur levier financier doubler sur l’exercice, impacté par l’accroissement de l’endettement consécutivement à la croissance du besoin en fonds de roulement (BFR) », explique le Crédit Agricole.
Après deux ans de relative stabilité, la rentabilité d’exploitation du secteur a décroché fortement en 2022 avec un taux d’Ebitda/CA de 1,9 %, contre 2,7 % en 2021. Au sein du secteur, les fabricants d’aliments composés passent à 1,2 % (contre 2 % en 2021) et les firmes services qui peinent aussi à retrouver leur rentabilité d’avant Covid, s’affichent à 4,9 % (contre 5,4 % en moyenne sur les quatre années précédentes). Pointant une situation qui se dégrade du côté des investissements aussi, la banque note qu’à l’inverse de celle des firmes services, la rentabilité de l’actif économique (ROCE) des entreprises fabriquant des aliments composés s’annule du fait de la dégradation de leur performance d’exploitation et de l’augmentation significative de leur BFR. Il passe à 0,1 %, contre 3,8 % en 2021 (et 6,3 % pour l’ensemble des IAA) : « Cela démontre qu’un grand nombre d’acteurs ne réussissent pas à avoir la rentabilité suffisante pour absorber les montants de capitaux employés sur l’exercice (2022). »
La souveraineté s’efface
La suprématie du poulet de chair, qui s’accélère, se traduit, chez les industriels de l’abattage et de la transformation, par une réorganisation de leurs outils. Lors du forum organisé par le groupe de nutrition animale familial Michel, le 17 octobre à Fougères (Ille-et-Vilaine), le directeur de Voléna (groupe LDC), Arnaud Boinard, ne donnait ainsi que des perspectives pour les outils dédiés au poulet, au grand dam des éleveurs et des accouveurs spécialisés en dinde : la consommation de poulet du quotidien progresse de 7 % cette année, alors que toutes les autres volailles régressent. La question de l’adaptation de la production est clairement posée, car ce sont surtout les importations qui progressent, les abatteurs cherchant de leur côté des éleveurs pour alimenter les outils dans l’Hexagone.
Ce phénomène de décapitalisation touche toutes les espèces animales : la France a perdu plus d’un million de bovins en six ans et le nombre de porcs a reculé de 6 % en un an. Or, comme la décapitalisation va plus vite que la déconsommation (puisque la consommation globale de viande ne baisse pas réellement en France), l’importation doit combler les besoins, tirant dans le même temps les prix vers le bas, d’autant plus que le manque de matière dans l’Hexagone les avait fait grimper. Tous les maillons des filières de productions animales sont concernés, 40 abattoirs de boucherie (bovins, ovins, porcins, caprins, équins, gibiers) sur les 230 que compte la France seraient ainsi en passe de fermer. Et les professionnels ne sont pas certains que les mesures annoncées par le gouvernement (lire l’encadré) soient à la hauteur du défi.
« En 2022, la consommation apparente totale de viandes est en hausse de 0,8 %, d’une part car la population française croît, d’autre part car la consommation individuelle progresse aussi. La même année, les importations de viande ont augmenté de 11,7 % », expliquait le Snia fin août. Pour la volaille, l’influenza aviaire peut expliquer une part conjoncturelle, mais depuis vingt ans, la croissance des importations est plutôt structurelle. Et 2023 devrait marquer la rupture en porc : la France quitte l’autonomie non seulement pour quelques pièces à valeur ajoutée qui nous manquaient déjà, mais en volume global.
Le bio décroche
Autre inquiétude, la montée en gamme, illustrée par les labels et la croissance continue du bio ces dix dernières années, se heurte au mur de l’inflation. Les statistiques sont catégoriques : la production d’aliments bio a perdu 14 % l’an dernier après des croissances annuelles à deux chiffres depuis 2017. Même si certains opérateurs rappellent qu’il n’y a pas péril en la demeure puisque les volumes restent supérieurs à ceux de l’année 2019, c’est-à-dire d’avant le Covid, la rupture est assez franche.
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Alimentation animale
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